L’ode et l’onde: Ulysse et Boutès chez Pascal Quignard

Mythe fondateur de l’héritage culturel méditerranéen, Ulysse sillonne les pages de Pascal Quignard depuis L’Être du balbutiement (1969) jusqu’à Harmoniè Palintropos (dans Théorème de Michel Lorand, 2019), en passant par les Petits traités, La haine de la musique et Dernier royaume. En même temps qu’une carte marine de la Méditerranée selon Quignard se dessine, les étapes d’un récit de voyage qui avance en rebroussant chemin irriguent, au confluent des arts et des savoirs, la réflexion sur le temps et l’espace, la terre et le monde, la prédation et la nature, la nostalgie et la blessure, la nudité et l’identité, mais aussi sur le chant et le langage, sur la trace et la lettre, en faisant d’Ulysse une figure de l’écrivain-lecteur, une figure du littéraire. Face au Rocher des Sirènes, le réseau des renvois intertextuels s’élargit et se complexifie : dès Boutès (2008), le livre dont la genèse est illustrée et commentée dans Sur le désir de se jeter à l’eau, au héros homérique se juxtapose et, dans une certaine mesure, s’oppose l’Argonaute dissident qui, chez Apollonios de Rhodes, quitte sa rame pour suivre l’appel de la voix plus ancienne que soi, l’appel de l’animalité antérieure, l’appel sauvage de l’autre du langage. Associé à la fresque du Tuffatore de Paestum – une icône extatique, chamanique et onirique, suspendue entre deux mondes, alliant mort et renaissance –, le re-plongeon dans l’amont de Boutès est une image-geste qui condense la poétique amniotique et océanique de l’eau à l’œuvre chez Quignard. Revenant dans des romans comme Villa Amalia et L’Amour la mer, il emblématise la pensée de la musique de l’écrivain et scande sa méditation sur le sujet et l’abandon, le déchirement et le bonheur, le perdu et l’origine de la création.